L’eau et le sacré
L’eau, comme le pain, le vin, l’huile ou le buis, renferme forcément une forte puissance symbolique. Et au-delà, existe un lien entre l’eau, le mythe, le sacré. Le mythe est à la conscience collective ce que le rêve est à la conscience individuelle. L’eau est ancrée fortement dans notre inconscient collectif, et est un support pour le rêve: Gaston Bachelard a écrit sur le sujet. Mythes et rêves révèlent l’invisible derrière le visible. Les mythes nous aident à nous centrer sur l’essentiel alors que l’action nous ramène vers le matériel, parfois loin de ce que nous sommes. L’eau, justement, a toujours été présent aux grandes étapes de l’humanité, quelles que soient les cultures et les croyances.
C’est que l’eau est essentielle, primordiale selon la mythologie grecque et romaine. placent l’eau comme élément primordial. Non seulement elle entre dans la composition du corps humain de façon importante, mais elle est l’un des 4 éléments occidentaux: eau-terre-air-feu, et des 5 éléments orientaux: eau-terre-air-feu-métal. L’eau est présente à la naissance du monde, ou à sa recréation. Chez le mathématicien Thalès, l’eau est rénovatrice. Au Déluge, évoqué par plusieurs mythes fondateurs, on associe des trombes d’eau, enveloppant Noé et arche. Une femme portant de l’eau symbolise le monde, la survie. La femme est féconde et l’eau essentielle. Quitte à faire oublier aux hommes qu’ils pourraient aider…
L’eau signifie aussi la convivialité et la réunion: les humains se réunissent autour de sources, de fontaines, de lavoirs. Qui dit eau dit pont, symbole de passage, de réunion. L’eau est sacrée, fécondante, purifiante: on se purifie dans le Gange, le Jourdain, on est lavé des péchés du monde, que ce soit dans la Bible, les Evangiles, le Coran. Chaque bain correspond symbolique à une mort pour renaître à soi-même. Rite de passage incontournable.
Il y a de l’eau dans les églises et les temples. Même si, en Inde, l’eau est sale et dangereuse pour la santé, on y dépasse la matérialité. En Inde existent 7 fleuves sacrés dont le Gange qu’on n’associe pas à de la géographie scolaire, à une ressource en eau, mais aux pratiques religieuses et aux rituels de bains. Ainsi, l’eau est-elle au cœur des habitants, spirituellement. Cette dimension est difficilement compréhensible pour un occidental.
Les cendres jetées dans le Gange, tout comme la barque sacrée des pharaons égyptiens, fait espérer la réincarnation. On doit mourir au bord du Gange, ce qui pose des problèmes d’assainissement. Le Gange reflète un cycle: il passe par la montagne, la plaine et finit dans un océan, là où tout retourne.
Dans la mythologie chinoise, l’eau se définit plus par opposition au feu. On y retrouve le Yin et le Yang, principes indissociables, fondements de la culture chinoise qui nous rappelle que nous venons d’un « grand tout », le chaos originel, et que nous sommes le produit du cosmos (et pas de dieux, ce qui implique une différence de conception entre nos deux civilisations). On connaît, en France, ces images chinoises qui montrent l’eau vive, vivante, sous forme de ruisseau se terminant par une cascade. L’eau est ancrée dans la vie, dans le paysage même. D’ailleurs, « paysage » en chinois signifie montagne et eau.
Certes, quelles que soient les régions du monde, l’accès à l’eau est une nécessité pour tous les habitants comme nous le développions lors du dernier Forum mondial de l’Eau. L’accès facile à l’eau, par le robinet, peut banaliser le sacré de l’eau elle-même.
Question de choix.
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