Le bon sens des citoyens contre les idées reçues des élites
Un livre de Raymond Boudon, grand sociologue décédé en 2013, vient de paraître. « Le rouet de Montaigne » explore la manière dont se forment nos convictions. Le sociologue s’interroge aussi sur le fait que les décideurs politiques français font plus attention à l’influence des intellectuels et des « médiatiques » qu’à l’opinion de M et Mme Tout le Monde.
Les sciences sociales du siècle des Lumières avaient défini la démocratie comme fondée sur l’idée que le public y dispose d’un pouvoir d’arbitrage décisif. Raymond Boudon rappelle qu’en ce qui concerne le citoyen, bien des sujets de la Cité échappent à ses passions et à ses intérêts et n’impliquent pas la maîtrise de connaissances particulières et qu’on peut donc supposer que, si l’on questionne le public sur ces sujets, beaucoup donneront une réponse inspirée du bon sens.
Le sociologue donne cet exemple. Un cinéaste célèbre, de nationalité française, avait été appréhendé par la justice du pays où il était réfugié pour répondre d’un crime ancien commis dans son pays d’origine. Plusieurs artistes, intellectuels et politiques français protestèrent arguant que le crime était ancien, l’artiste de notoriété internationale et que la victime avait retiré sa plainte. Les enquêtes révélèrent que l’opinion avait fortement désapprouvé ce discours. Pour le public, ce n’est pas parce qu’on est célèbre qu’on n’a pas à répondre d’un crime, une victime qui retire sa plainte n’efface pas le crime et c’est le pays où a été commis un crime qui juge les conditions de sa prescription. Cet exemple souligne le contraste entre le point de vue particulariste de la mince élite politico-médiatico-culturelle et le point de vue universaliste de l’opinion publique. Ce fait divers, dit Raymond Boudon, a l’intérêt de soulever une question sociologique essentielle, celle de savoir pourquoi les politiques français confondent si facilement l’opinion des groupes d’influence avec l’opinion publique et pourquoi ils accordent davantage d’attention aux premiers.
Sur les sujets de l’environnement, on retrouve bien souvent le même mécanisme où on a l’impression que certains s’expriment au nom de tous sous prétexte qu’ils savent. Il en est ainsi sur la question des OGM, des gaz de schiste ou des ondes. Le monde de l’eau n’est pas non plus à l’abri : risques sanitaires, coût de l’eau, choix du mode de gestion… Heureusement, les commentaires sur les réseaux sociaux montrent que la parole de groupes d’influence est remise en cause par des internautes qui essaient de faire entendre la voix des citoyens impartiaux et de bon sens. Dommage que les medias et les politiques ne les relaient pas.