Trop d’eau pour le maïs ?
Sylvie Brunel est géographe de la faim et du développement durable et professeur à la Sorbonne. Elle vient d’écrire un livre plaidoyer sur le maïs, première céréale mondiale : « Géographie amoureuse du mais » (chez JC Lattès). J’ai trouvé particulièrement intéressant le chapitre essayant de démonter le reproche récurrent fait à cette plante : le maïs est trop gourmand en eau.
En effet, dans une période où l’accès quantitatif à l’eau est devenu un enjeu, comment ne pas vivre comme une provocation les subventions versées à des producteurs qui pompent en hiver dans les nappes souterraines et les réserves pour remplir des réserves d’eau qui leur serviront en été ou bien les systèmes d’irrigation qui tournent au-dessus des champs de maïs en pleine chaleur alors que des arrêtés de restriction d’usages de l’eau sont pris par les préfets ?
Sylvie Brunel rappelle quelques vérités agronomiques. D’abord, que l’irrigation est un des fondamentaux de l’agriculture et qu’elle existe depuis la nuit des temps. Ensuite, que toutes les plantes ont besoin d’eau. Arroser le maïs quand il ne pleut pas c’est avoir des grains bien remplis et en bonne santé et du maïs fourrage fournissant une alimentation de qualité aux animaux. Le maïs est planté en avril, pousse en été et est récolté en octobre. Le Sud-Ouest est la principale région productrice ; la chaleur y est intense et la pluie rare. En France, la moitié des surfaces seulement en maïs grain est irriguée tandis que le maïs fourrage n’est quasi jamais irrigué. Ce qui fait que l’irrigation ne concerne que 25 % des superficies plantées en maïs, même si cette plante est la première culture irriguée en France. Selon le CNRS, 100 millimètres d’eau donnent 2 tonnes de blé mais 3 tonnes de maïs, 5000 litres d’eau fournissent 1 kg de riz mais 450 litres d’eau fournissent 1 kg de maïs grain.
Elle aborde aussi la sécurité alimentaire. Au cours du XX ème siècle, la modernisation de l’agriculture, avec l’amélioration des semences et la révolution de l’irrigation, a multiplié par six les rendements en maïs. Ce qui a permis de répondre à la croissance démographique mondiale (moins de 2 milliards en 1900, 7 milliards en 2011) d’autant que les surfaces cultivées n’augmentaient que de 10 % dans le même temps. Les 17 % des terres irriguées à travers le monde assurent 40 % de la production agricole
La France ne manque pas d’eau même si, dans certaines régions, elle n’est pas toujours là au bon moment. Dans ces conditions, Sylvie Brunel ne partage pas l’avis qui est que « (…) l’eau qui ruisselle et retourne à la mer est meilleure pour la planète que l’eau qui est retenue quand elle abonde, pour être relâchée quand elle manque (…) ». En France, 1,5 million d’hectares sur 28 millions sont des terres irriguées qui utilisent 5 milliards de m3 d’eau sur les 200 milliards à disposition. Elle milite pour les retenues d’eau agricoles en rappelant que ceux qui ne supportent pas cette pratique agricole construisent de plus en plus de piscines pour supporter les chaleurs de l’été et comptent sur les canons à neige pour skier !
A ceux qui disent que le service rendu par le maïs ne vaut pas l’eau qu’il consomme en période de sécheresse, la géographe du développement durable répond : la « transpiration » du maïs rafraichit l’atmosphère, chaque litre d’eau reçu produit une quantité de biomasse, il absorbe 1,5 tonne de CO2 et libère 1 tonne d’oxygène par tonne de matière sèche produite. Et, pour ce qui est de l’idée que l’irrigation pourrait se faire la nuit, elle répond encore que c’est quand la lumière est maximale que le maïs pousse le mieux.
Bien gérer l’eau, ce n’est pas se faire la guerre entre usagers mais c’est bien connaître les milieux hydrographiques, se concerter et être solidaires. C’est un des rôles des comités de gestion par bassin versant qui décident quels volumes pourront être prélevés et quand.